dimanche 6 décembre 2009

L'art et le yoga


L’art, la poésie, la musique ne sont pas le yoga, ne sont pas plus en eux-mêmes des choses spirituelles que la philosophie ou la science.

Ici se dissimule une autre incapacité curieuse de l’intellect moderne – son impossibilité à établir la distinction entre le mental et l’esprit, sa promptitude à prendre les idéalismes mentaux, moraux et esthétiques pour de la spiritualité et leurs degrés inférieurs pour des valeurs spirituelles.

La simple vérité est que les intuitions mentales du métaphysicien ou du poète sont pour la plupart loin d’atteindre le niveau d’une expérience spirituelle concrète ; ce sont des éclairs lointains, des reflets indistincts, non des rayons issus du centre de la Lumière. Il n’en est pas moins vrai que, vues des cimes, il n’y a pas beaucoup de différence entre les hautes éminences mentales et les modestes ascensions de cette existence extérieure.

Toutes les énergies de la Lîla sont égales vues d’en haut, toutes sont des déguisements du Divin. Mais il faut ajouter que toutes peuvent devenir l’instrument d’un premier pas vers la réalisation du Divin.

Un jugement philosophique sur l’Atman est une formule mentale et non une connaissance, ni une expérience ; pourtant, le Divin le prend parfois comme chenal d’accès ; curieusement, une barrière du mental s’effondre, une vision naît, un changement profond s’opère dans une partie intérieure, dans le fond de la pénètre quelque chose de calme, d’égal, d’ineffable. On se tient sur une crête de montagne et on entrevoit, on sent mentalement une ampleur qui pénètre tout, une Immensité ineffable dans la Nature ; alors tout à coup vient le contact, une révélation, un flot, le mental se perd dans le spirituel, on éprouve la première invasion de l’Infini.

Ou vous êtes devant un temple de Kâli près d’une rivière sacrée et que voyez-vous ? Une sculpture, une gracieuse pièce d’architecture, mais mystérieusement un moment plus tard, inattendue, s’impose à la place une Présence, un Pouvoir, un Visage qui regarde le vôtre, et votre regard intérieur a contemplé la Mère du Monde.

Des contacts semblables peuvent venir par l’art, la musique, la poésie, à leur auteur ou à celui qui ressent le choc du mot, le sens caché d’une forme, le message d’un son qui porte plus de signification peut-être que le compositeur, consciemment, ne voulait y mettre.

Toutes choses dans la Lîlâ peuvent devenir des fenêtres qui s’ouvrent sur la Réalité cachée.

Pourtant, aussi longtemps que l’on se contente de regarder par les fenêtres, ce n’est qu’un premier gain ; un jour il faudra prendre le bâton du pèlerin et se mettre en route pour trouver la Réalité là où elle est toujours manifeste et présente. Il peut être encore moins satisfaisant spirituellement de demeurer dans les reflets indistincts, il devient impératif de chercher la Lumière qu’ils essaient de représenter.

Mais puisque cette Réalité et cette Lumière sont en nous-même tout autant que dans quelque haute région au-dessus du plan mortel, nous pouvons, en les cherchant, utiliser bien des formes et des activités de la vie ; comme on offre une fleur, une prière, une action au Divin, on peut offrir une forme de beauté que l’on crée, une chanson, un poème, une image, une phrase de musique, et gagner par là un contact, une réponse, ou une expérience.

Et quand on est entré dans cette conscience divine ou qu’elle croît à l’intérieur, alors le yoga n’exclut pas qu’on s’exprime dans la vie à travers tout cela ; ces activités créatrices peuvent encore avoir leur place, bien qu’intrinsèquement cette place ne puisse être plus grande que celle d’autres activités qui peuvent être mises au service du Divin, et utilisées par lui.

L’art, la poésie, la musique, dans leur fonctionnement ordinaire, créent des valeurs mentales et vitales, non des valeurs spirituelles ; mais elles peuvent être tournées vers un but plus élevé, et comme toutes les choses qui sont capables de relier notre conscience au Divin, elles sont transmuées, deviennent spirituelles et peuvent être admises comme faisant partie de la vie du yoga.

Toutes choses prennent une valeur nouvelle non par elles-mêmes, mais par la conscience qui les utilise ; car il est une seule chose essentielle, nécessaire, indispensable, c’est de devenir conscient de la Réalité divine et d’y vivre, et de la vivre toujours.

Extrait de Lettres sur le Yoga, Tome 1